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Au même instant, le Canadien reparut au-dessus de la surface de la rivière, les cheveux ruisselants d’eau, la figure enflammée par le sang qui s’y était violemment porté. D’un bond il reprit place dans l’îlot, qui commença de tournoyer lentement sur lui-même, puis de suivre doucement le courant. Une énorme racine, enfoncée à une assez grande profondeur dans le lit de la rivière, s’était brisée dans les mains vigoureuses du colosse dont le désespoir avait décuplé la force.

« Dieu soit loué ! s’écria-t-il, le dernier et seul obstacle qui nous retenait est vaincu et nous sommes à flot. »

En effet, pendant qu’il parlait, l’îlot s’avançait poussé par le courant, presque insensiblement, il est vrai, mais il s’avançait.

« Maintenant, continua Bois-Rosé, notre vie est entre les mains de Dieu. Si l’îlot se maintient au milieu de la rivière, nous serons bientôt, grâce au brouillard qui couvre sa surface, hors de la vue et de la portée des Indiens. Oh ! mon Dieu ! s’écria-t-il avec ferveur, quelques heures encore de nuit, et vos créatures sont sauvées ! »

Les trois chasseurs gardèrent le silence. Ils suivaient d’un œil trop inquiet les mouvements de l’île flottante pour essayer d’échanger un seul mot.

Le jour allait bientôt paraître, mais la fraîcheur de la nuit, qui s’augmente toujours une heure ou deux avant le lever du soleil, condensait de plus en plus les vapeurs qui s’élevaient de la rivière.

Les feux de la rive ne paraissaient plus que comme des étoiles qui pâlissent sur le firmament au retour de l’aube. De ce côté le péril était moins grand, la chance d’échapper à la vue des sentinelles indiennes presque sûre ; mais un autre danger menaçait les trois chasseurs.

L’îlot flottant, quelque doucement qu’il fût entraîné par le cours de l’eau, suivait le fil de la rivière en tournoyant, et il était à craindre que dans cette rotation