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— Gardez-vous-en bien, ce serait leur révéler au juste la position que nous occupons. Les coquins ne le savent plus trop. »

En disant ces mots, Bois-Rosé entra dans l’eau avec la plus grande précaution. Ce n’était pas sans quelque inquiétude que les deux chasseurs restés dans l’île suivaient de l’œil les recherches du Canadien. Celui-ci, enfoncé dans l’eau, disparaissait de temps en temps sous la surface de la rivière, comme le plongeur cherchant le long des flancs du navire la voie d’eau qui menace de le faire couler.

« Eh bien, demanda vivement Pepe quand le Canadien se remontra pour reprendre haleine, sommes-nous affourchés sur plusieurs ancres ?

— Tout va bien, je crois, répondit Bois-Rosé, je n’en vois qu’une jusqu’à présent qui retienne l’îlot immobile, mais c’est l’ancre de miséricorde.

— Prenez garde surtout de vous avancer trop ! s’écria Fabian, vous pourriez vous engager sous les racines et dans le réseau des branches au-dessus de l’eau.

— Soyez sans crainte, enfant, reprit le Canadien. Une baleine resterait plutôt accrochée à un canot de pêche qu’elle peut faire sauter à vingt pieds en l’air, que moi sous cette île que d’un coup d’épaule j’éparpillerais en morceaux. »

La rivière bouillonna de nouveau sur la tête du Canadien. Un assez long espace de temps s’écoula pendant lequel, comme si les prévisions de Fabian dussent se réaliser, la présence de Bois-Rosé sous l’eau était visible aux remous formés autour de l’îlot, qui bientôt oscilla sur sa base comme une embarcation au milieu de la houle. On sentait que le géant devait faire un dernier et puissant effort. Le cœur de Fabian se serra un instant dans sa poitrine à l’idée que Bois-Rosé luttait peut-être contre la mort, quand un craquement sourd, semblable à celui de la membrure d’un navire qui se brise contre un rocher, se fit entendre presque sous ses pieds.