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— La déraciner, sans doute, Fabian ; mais nous courrons risque aussi de l’éparpiller comme un fagot dont on brise la hart, et notre salut dépend de la conservation de l’îlot tel que l’a fait la nature. C’est peut-être quelque mère branche, ou quelque grosse racine ancrée au fond de la rivière, qui le retient immobile. Bien des années ont dû s’écouler depuis que ces arbres se sont échoués ici, si j’en juge par le terrain qui s’est formé au-dessus d’eux. L’eau doit à la longue avoir pourri cette racine ou cette branche, et voilà ce dont je veux m’assurer. »

En ce moment, le chant lugubre d’un oiseau de nuit interrompit le Canadien. Ces notes plaintives, qui troublaient tout à coup le silence profond de la nuit, à l’instant même où quelque espoir venait de briller aux yeux des chasseurs, retentirent aux oreilles de Pepe comme un funèbre présage.

« Ah ! dit tristement l’Espagnol, dont le danger réveillait les idées superstitieuses, la voix de la chouette dans une circonstance semblable à celle-ci n’annonce rien de bon.

— L’imitation est parfaite, j’en conviens, reprit Bois-Rosé ; mais vous ne devriez pas vous laisser tromper ainsi. C’est une sentinelle indienne qui chante, soit pour avertir ses compagnons d’ouvrir l’œil, ou, ce qui est plus conforme à leur méchanceté diabolique, pour nous faire entendre qu’ils veillent sur nous. C’est une espèce de chant mortuaire dont ils veulent nous régaler. »

Le Canadien achevait à peine, quand, de la rive opposée, la même harmonie se répéta avec des modulations tantôt moqueuses, tantôt funèbres, qui confirmaient de point en point la supposition du vieux chasseur. Mais ces voix n’en étaient pas moins effrayantes, car elles révélaient tous les périls et les embûches que cachait l’obscurité de la nuit.

« J’ai envie de leur crier de rugir plutôt comme des tigres qu’ils sont, dit Pepe.