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Cette circonstance n’avait pas échappé à l’œil investigateur du Canadien qui, une longue gaule à la main, résolut d’éparpiller l’herbe et de l’empêcher ainsi de s’enflammer ; mais, au même moment où il s’apprêtait à risquer cette tentative dangereuse, ce qu’il avait prédit arriva.

Quelques balles et des flèches passèrent en sifflant dans le peu d’espace resté vide entre l’île et le brûlot. Ces décharges paraissaient avoir plutôt pour but d’effrayer les chasseurs que de les atteindre.

« C’est un parti pris, dit Bois-Rosé à voix basse, de ne nous prendre que vivants ; eh bien, c’est une chance à tenter. »

Le morceau de feu touchait presque l’îlot ; quelques instants de plus, et l’incendie allait le dévorer. Une vapeur embrasée enveloppait déjà ses hôtes, quand, avec la rapidité de l’éclair, le Canadien se laissa glisser dans l’eau et disparut tout entier.

Des hurlements partirent des deux bords de la rivière, et les Indiens, ainsi que l’Espagnol et Fabian, restés seuls, virent l’arbre flottant osciller sous l’étreinte puissante du Canadien. L’énorme foyer jeta une clarté plus éblouissante ; puis bientôt l’eau siffla, la masse de feu se disjoignit et s’abîma dans un flot d’écume.

Les ténèbres et le brouillard étendaient de nouveau leur dais sombre sur tout le cours de la rivière.

L’arbre aux branches noircies, détourné de sa direction, passait outre en froissant les roseaux de l’île, lorsqu’au milieu des hurlements des Indiens stupéfaits Bois-Rosé rejoignait ses compagnons.

L’îlot tremblait encore sous l’effort du Canadien pour y reprendre terre.

« Hurlez à votre aise, dit Bois-Rosé en reprenant haleine, vous ne nous tenez pas encore ; mais, ajouta-t-il tout bas, serons-nous toujours aussi heureux ? »

En effet, ce danger surmonté, combien ne leur en