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de son feuillage ; une épaisse couche d’herbes mouillées entrelacées dans ses branches formait une sorte de plancher sur lequel était empilé tout le branchage dont on avait dépouillé un pin résineux. Après avoir mis le feu à cette machine incendiaire, on l’avait confiée au cours de l’eau en lui donnant la direction de la petite île.

Le radeau s’avançait, le pétillement du bois résineux se faisait déjà entendre, et sous un dais de fumée noirâtre qui s’élevait dans les airs et se mêlait au brouillard, brillait une flamme dont la clarté augmentait de moment en moment. Non loin de la rive, on pouvait de temps à autre apercevoir la silhouette rouge d’une sentinelle indienne.

Pepe ne put résister à une tentation soudaine.

« Tiens, démon de l’enfer ! dit-il à demi-voix, toi, du moins, tu n’iras pas raconter à ton village les derniers moments de l’agonie d’un chrétien. »

En disant ces mots, le canon de la carabine de l’irascible Espagnol brilla d’une lueur rouge à travers les roseaux, et l’on vit s’affaisser le panache de plumes d’un guerrier indien au même moment où l’explosion de l’arme à feu troubla le silence qui régnait depuis si longtemps sous le manteau de la nuit.

« Triste et tardive vengeance ! » dit solennellement Bois-Rosé en voyant tomber l’Indien.

Comme si en effet les Apaches dédaignaient les coups d’un ennemi vaincu, la rive demeura plongée dans son morne silence sans qu’un seul hurlement accompagnât, selon l’habitude, les derniers soupirs d’un guerrier.

La flamme des fascines enflammées, qui n’étaient déjà plus qu’à une assez courte distance de l’îlot et en ligne droite avec lui, laissait voir les traits de l’Espagnol contractés par son impuissante fureur.

« Demonio ! s’écria-t-il en frappant du pied, je mourrai avec d’autant plus de calme que j’aurai envoyé avant