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Une longue pratique de la vie des déserts et des dangers toujours renaissants qu’elle entraîne avec elle avait donné au Canadien une fermeté de muscles que l’Espagnol n’avait pas encore atteinte. Au lieu de se laisser emporter à l’élan de sa colère comme Pepe, Bois-Rosé avait gardé son calme habituel.

Il savait qu’un danger qu’on envisage de sang-froid est presque à demi surmonté, tout effrayant qu’il puissent paraître, et son sang-froid redoublait d’ordinaire à l’approche du péril.

« Oui, dit-il en répondant à l’exclamation de l’ex-miquelet, je vois ce que c’est tout aussi bien que si les Indiens me l’avaient dit à l’avance. Vous parliez tout à l’heure de renards enfumés dans leur trou ; eh bien, les coquins veulent nous brûler dans le nôtre. »

Cependant le globe de feu qui flottait sur la rivière grossissait avec une effrayante rapidité, et confirmait les paroles du Canadien. Déjà, au milieu des eaux empourprées par la flamme, les roseaux, les pousses d’osier qui formaient la ceinture de l’îlot, commençaient à devenir distincts.

« C’est un brûlot, s’écria Pepe, avec lequel ils veulent incendier notre île.

— Vive Dieu ! ajouta Fabian, mieux vaut encore lutter contre le feu que d’attendre ainsi la mort sans combat.

— C’est vrai, dit Bois-Rosé, mais le feu est un terrible adversaire et il combat pour ces démons. »

Ici, les assiégés ne pouvaient rien opposer à l’action dévorante de la flamme, et le brûlot devait consumer la petite île, sans qu’il restât à ceux qui y étaient d’autre chance d’échapper à l’incendie que de se jeter à l’eau. Dès lors les Indiens étaient maître ? d’en finir avec eux à coups de fusil ou de les prendre vivants.

Tel avait été le calcul du coureur indien. Par son ordre, les Apaches avaient abattu un tronc d’arbre garni