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viennent à nous manquer. Aborder le rivage de quelque côté que ce fût, serait marcher à une mort certaine à présent que le nombre des Indiens a plus que triplé probablement. Mourir ne serait rien, car c’est toujours une ressource suprême dont nous disposerons tant que nous aurons un couteau dans les mains. Mais peut-être serions-nous faits prisonniers, et je frémis à l’idée de l’horrible agonie qu’ils nous réserveraient. Oh ! mon Fabian bien-aimé, ces Indiens, du moins, dans leur intention de ne nous prendre que vivants, prolongent encore pour moi de quelques jours le bonheur d’être près de vous. »

Le silence régna de nouveau parmi le groupe consterné… Cette idée de vivre encore près de son enfant était pour le Canadien comme le sursis accordé au condamné avant le supplice : mais bientôt, pareil à ce malheureux qui, en songeant au moment fatal qui n’est que différé, secoue avec rage les barreaux de son cachot, Bois-Rosé, en devançant en imagination le jour terrible du dénoûment, tourmentait convulsivement un des troncs de l’îlot. Sous son étreinte puissante, l’île tremblait comme si elle allait être arrachée à sa base.

« Ah ! les chiens ! les démons ! s’écria dans ce même moment l’Espagnol qui ne put étouffer un cri de rage. Voyez ! »

Une lueur rougeâtre perçait insensiblement le voile de vapeurs étendu sur la rivière, et semblait avancer en grossissant, comme le reflet d’un incendie qui se propage.

Et chose étrange ! l’incendie glissait sur les eaux.

Quelque intensité qu’eût le brouillard presque palpable qui se dégageait de la rivière, la masse de feu que charriaient ses eaux les dissipait comme le soleil dissipe les nuages.

Les trois chasseurs n’avaient pas encore eu le temps de s’étonner de l’apparition de cette clarté soudaine, que déjà ils avaient pu en deviner la cause.