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de leurs ennemis ; mais elle paraissait à Fabian un symptôme rassurant, une faveur du ciel dont il fallait profiler.

« Tout dort maintenant autour de nous, dit-il ; non-seulement les Indiens sur la rive, mais tout ce qui a vie dans les bois et dans les déserts, la rivière elle-même semble avoir ralenti son cours. Voyez, les reflets des feux expirent bien loin de nous. Ne serait-ce pas le moment d’opérer une descente sur l’une ou l’autre des deux rives ?

— Les Indiens dormir ! interrompit Pepe avec amertume, oui, comme cette eau qui semble stagnante, mais qui n’en poursuit pas moins son cours jusqu’aux gouffres inconnus où elle va se perdre. Vous n’aurez pas fait trois pas dans la rivière que vous verrez les Indiens s’y précipiter après vous, comme vous avez vu tantôt les loups s’y lancer à la poursuite du cerf. N’avez-vous rien de mieux à proposer, vous, Bois-Rosé ?

— Non » répondit brièvement le Canadien, tandis que sa main cherchait silencieusement celle de Fabian ; puis, de l’autre, il montra le blessé qui continuait à s’agiter, tout en dormant, sur sa couche de douleur. Ce geste répondait à toutes les objections de Fabian.

« Mais à défaut d’autre chance, répondit celui-ci, nous aurions du moins celle de mourir avec honneur, côte à côte, comme nous voulons mourir. Si nous sommes vainqueurs, nous pourrons venir au secours de ce malheureux qui n’a plus que nous pour défenseurs. Si nous succombons, Dieu lui-même pourra-t-il nous reprocher, quand nous paraîtrons devant lui, d’avoir sacrifié la vie de l’homme qu’il avait confié à notre garde, lorsque nous avons nous-mêmes exposé la nôtre dans l’intérêt de tous ?

— Non, sans doute, répondit Bois-Rosé ; mais espérons encore en ce Dieu qui nous a réunis par un miracle ; ce qui n’arrive pas aujourd’hui peut arriver demain ; nous avons du temps devant nous d’ici à ce que les provisions