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toute la nature environnante, le sommeil fuyait aussi les trois chasseurs.

S’il est des moments affreux dans la vie, où le cœur peut venir à manquer aux hommes les plus braves, c’était certes dans la circonstance présente. Outre que le danger était terrible, inévitable, il ne présentait même pas la chance, comme suprême et dernière consolation, de vendre chèrement sa vie.

Cernés par les ennemis que les arbres du rivage dérobaient à leurs coups, les trois chasseurs ne pouvaient même plus exciter leur fureur, comme la veille, en en faisant tomber quelques-uns sous leurs balles. D’ailleurs Bois-Rosé et l’Espagnol connaissaient trop bien l’implacable opiniâtreté des Indiens pour espérer que, lassé d’un blocus prolongé, l’Oiseau-Noir permettrait à ses guerriers de répondre à leurs attaques, et de les faire succomber sous une fusillade meurtrière.

Cette mort des soldats sur le champ de bataille eût paru trop douce à la haine du chef apache. Il voulait ses ennemis vivants, l’âme et le corps affaiblis par la faim.

Sous l’impression de ces tristes pensées, les trois chasseurs ne parlaient plus, mais ils se résignaient à leur sort, plutôt que de songer à abandonner le malheureux blessé en essayant une descente sur l’une des rives. Fabian était aussi déterminé que ses compagnons à mourir ; ses espérances trompées, le profond découragement qui s’était emparé de lui, ôtaient à la mort son cortège habituel de terreurs ; néanmoins, l’ardeur de son sang lui faisait préférer une mort prompte, les armes à la main, à la mort ignominieuse et lente qui les attendait tous au poteau des Indiens.

Il se décida le premier à rompre le silence mortel qui planait sur l’îlot au milieu de la brume nocturne.

La profonde tranquillité du fleuve et de ses bords n’était aux yeux expérimentés du Canadien et de l’Espagnol qu’un indice plus certain de l’invincible résolution