Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/387

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce récit achevé, le coureur s’étendit près du feu et s’endormit ou parut du moins s’endormir. Mais cette fois les passions tumultueuses et contraires qui bouillonnaient dans le cœur de l’Oiseau-Noir, l’ambition d’une part, la soif de la vengeance de l’autre, le tinrent éveillé sans qu’il eût à faire aucun effort pour vaincre le sommeil.

La rive où l’Oiseau-Noir bivaquait devint aussi calme que l’îlot perdu au milieu des brouillards.

Au bout d’une heure environ, le coureur se leva à demi de sa couche de gazon ; écartant le pan du manteau de peau de bison qu’il avait ramené sur sa tête pour se préserver du brouillard, il aperçut l’Oiseau-Noir immobile dans la même attitude et les yeux ouverts.

« Le silence de la nuit a parlé à mes oreilles, dit-il, et j’ai pensé qu’un chef renommé comme l’Oiseau-Noir doit, au lever du soleil, tenir ses ennemis en sa puissance et entendre leur chant de mort.

— Mes guerriers ne peuvent marcher sur les eaux comme sur le sentier de la guerre, répondit le chef ; les hommes du Nord ne ressemblent pas à ceux du Sud dont les carabines ne sont entre leurs mains que des roseaux creux.

— Le sang qu’a perdu l’Oiseau-Noir a trompé son esprit et obscurci ses yeux. S’il veut le permettre, j’agirai pour lui, et demain sa vengeance sera complète.

— Faites, reprit le chef ; de quelque côté que vienne la vengeance, elle sera comme un hôte agréable à mon foyer.

— Bien, j’amènerai bientôt ici les trois chasseurs et celui dont ils n’ont pu sauver la chevelure. »

En disant ces mots, le coureur se leva et se perdit bientôt dans la brume aux yeux de l’Oiseau-Noir toujours fixés dans la direction de l’îlot.

Là, du moins, de plus généreuses passions étaient en jeu. Tandis que le silence imposant de la nuit couvrait