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dormi que le chef redouté devant lequel il se présentait ouvrît les yeux et l’interrogeât.

Le coureur, néanmoins, à l’aspect de la tête du chef qui se penchait insensiblement sur sa poitrine, résolut d’annoncer sa présence. Ce fut d’une voix creuse et gutturale qu’il fit entendre ces mots :

« Quand l’Oiseau-Noir ouvrira les yeux, il entendra de ma bouche un message qui chassera le sommeil loin de lui. »

L’Indien souleva ses paupières au son de la voix qui frappait ses oreilles, et un effort de sa volonté écarta brusquement le sommeil sous lequel il succombait. Honteux qu’un chef eût été surpris endormi comme un guerrier de peu de renom, l’Indien crut devoir s’excuser :

« L’Oiseau-Noir a perdu beaucoup de sang ; il en a perdu assez pour que le prochain soleil ne le sèche pas sur la terre, et son corps est plus faible que sa volonté.

— L’homme est ainsi, » répliqua sentencieusement le messager.

L’Oiseau-Noir reprit :

« C’est quelque message bien important sans doute à me communiquer, puisque le Chat-Pard a choisi pour me le transmettre le plus agile de ses coureurs.

— Le Chat-Pard ne transmettra plus de message, répondit l’Indien de sa voix gutturale. La lance d’un blanc est entrée dans sa poitrine, et le chef chasse à présent avec ses pères dans la terre des Esprits.

— Qu’importe ! il est mort vainqueur ; il a vu, avant de mourir, les chiens blancs dispersés dans la plaine.

— Il est mort vaincu ; ce sont au contraire les Apaches qui ont dû fuir après avoir perdu leur chef et cinquante guerriers renommés. »

Peu s’en fallut que, malgré la douleur cuisante de sa blessure, et en dépit de l’empire qu’un chef indien doit