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cette occasion le brouillard ôtait à l’air sa sonorité en même temps qu’il cachait à l’œil les objets extérieurs. L’attention la plus soutenue pouvait donc seule suppléer aux sens mis en défaut.

Les yeux fermés, l’oreille ouverte, et debout pour chasser la torpeur que le morne silence de la nature faisait peser sur eux, les guerriers indiens se tenaient immobiles près de leurs foyers ; seulement chacun à son tour y jetait une branche d’arbre pour les raviver, et reprenait ensuite sa posture silencieuse et attentive.

Un assez long espace de temps s’écoula ainsi pendant lequel, sur les rives comme dans l’île, le seul bruit qui se fît entendre dans la nuit était la rumeur affaiblie d’une cataracte lointaine de la rivière, et le murmure des roseaux que l’eau courbait dans son cours.

Sur la rive gauche se tenait le chef indien. L’air vif de la nuit, en envenimant sa blessure, ne faisait qu’exciter la haine dont son cœur était déjà gonflé. La lueur du foyer allumé auprès de l’arbre contre lequel il était adossé éclairait sur son visage noirâtre des traits altérés par le sang qu’il avait perdu. Sa figure couverte de hideuses peintures et contractée par la douleur qu’il dédaignait de montrer, ses yeux brillants et farouches le faisaient ressembler à l’une des idoles sanguinaires des temps barbares.

Peu à peu cependant, malgré l’empire qu’un Indien sait exercer sur ses sens, ses yeux se voilèrent de leurs paupières appesanties par le sommeil, et un assoupissement presque invincible s’empara de lui.

Au bout de quelques instants, son sommeil devint si profond qu’il n’entendit pas les branches sèches craquer sous un mocassin, et qu’il ne vit pas un Indien de sa tribu s’avancer vers lui.

Immobile et droit comme la tige d’un bambou, un coureur apache, couvert de sang, les narines gonflées et la poitrine haletante, attendait à deux pas de l’Indien en-