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se rétrécissait petit à petit. Bientôt les vapeurs devinrent assez intenses pour dérober à l’œil des veilleurs le bord opposé du fleuve ; la clarté des foyers arrivait à peine jusqu’à l’îlot, qui lui-même disparut enfin sous la brume.

Le chef indien sentit qu’il était urgent de redoubler de surveillance. Il appela deux guerriers sur le dévouement desquels il pouvait compter. À l’un il ordonna de traverser la rivière, à l’autre de suivre le bord où il se trouvait, afin de donner ainsi aux vedettes sur les deux rives les mêmes ordres et de leur porter les mêmes menaces.

« Allez, leur enjoignit le chef, et dites à ceux de mes guerriers qui se sont chargés de surveiller ces chrétiens, dont la chevelure et la peau serviront d’ornement à nos chevaux, que les fils des bois doivent avoir chacun quatre oreilles pour remplacer les yeux, que le brouillard rend inutiles. Dites-leur que leur vigilance les rendra dignes de la reconnaissance d’un chef ; mais que, dans le cas où le sommeil assourdirait leurs oreilles, le casse-tête de l’Oiseau-Noir les enverra dormir à jamais dans la terre des Esprits. »

Les deux messagers partirent pour s’acquitter de leur mission, et revinrent bientôt assurer le chef noir qu’il pouvait compter sur le strict accomplissement de ses ordres.

En effet, stimulés à la fois par leur propre haine pour la race blanche et par l’espoir d’une récompense ; redoutant, si le sommeil les surprenait, non pas le châtiment promis, un Indien craint rarement la mort, mais effrayés de l’idée de se réveiller dans les terrains de chasse du pays des Esprits, portant sur leur front la flétrissure qui accompagne le guerrier que le sommeil a vaincu, les vedettes redoublèrent de vigilance.

Il est peu de bruits nocturnes qui puissent échapper à l’ouïe merveilleuse des Indiens, comme peu d’objets ont le pouvoir de se dérober à leurs yeux perçants ; mais en