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— Ce serait une mauvaise action ; elle nous porterait malheur, Bois-Rosé, » continua l’Espagnol.

La tendresse superstitieuse du Canadien s’alarma subitement à ces paroles de son compagnon, et il cessa d’insister à ce sujet ; mais il reprit :

« Eh bien ! Fabian, vous qui êtes bon nageur, suivez la route qui nous est ouverte ; Pepe et moi nous resterons pour protéger cet homme, et si nous mourons ici, ce sera en victimes de notre devoir, et avec la joie de penser que vous du moins vous serez sain et sauf. »

Fabian secoua négativement la tête.

« Je vous le répète, dit-il, je ne veux pas de la vie sans vous deux, et je reste avec vous.

— Mais que faire ? demanda douloureusement le Canadien.

— Cherchons, » répondirent à la fois Fabian et Pepe.

C’était malheureusement un de ces cas où toutes les ressources humaines sont impuissantes ; c’était une de ces situations désespérées dont un pouvoir plus fort que celui de l’homme pouvait seul les tirer. En vain, sous le brouillard qui s’épaississait, la nuit devenait plus obscure, la ferme résolution de ne pas abandonner le blessé opposait à l’évasion des trois chasseurs un obstacle insurmontable. Bientôt des feux allumés de tous côtés par les Indiens sur les deux rives du fleuve projetèrent sur les eaux une lumière rougeâtre, qui en éclairait le cours à une assez grande distance.

Avec cette clarté, la dernière chance de salut qu’avait proposée le Canadien devenait même impossible, quand ils eussent voulu la tenter ; mais ni les uns ni les autres n’y songeaient plus. À l’exception du reflet des feux dont se colorait la rivière, on eût dit, au calme complet qui régnait sur les deux bords opposés, qu’ils étaient entièrement déserts, car près des foyers nul ennemi n’était visible, nulle voix humaine ne troublait le silence de la nuit.