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Avant de vous avoir trouvé, la terre s’était refermée sur tout ce que j’aimais, et le seul être vivant qui pût le remplacer c’était… vous. Que regretterai-je dans ce monde ?

— L’avenir, mon enfant, l’avenir dans lequel la jeunesse aspire à se plonger, comme le cerf altéré dans l’eau d’un lac… »

Des détonations, assourdies par l’éloignement, vinrent interrompre les réflexions mélancoliques du vieux chasseur. C’était l’heure où les Indiens attaquaient le camp de don Estévan. Elles indiquaient une lutte acharnée entre les blancs et les Indiens. Le lecteur en connaît le résultat. Une voix forte, qui s’éleva de la rive en face des chasseurs, vint se mêler à ces détonations répétées.

« Que les blancs ouvrent leurs oreilles dit la voix.

— C’est encore ce coquin d’Oiseau-Noir, fit Pepe, qui reconnut celle du chef blessé par lui. Deux guerriers, en effet, le soutenaient sur leurs bras.

— À quoi bon ouvrir les oreilles ? s’écria Pepe d’une voix de stentor, en employant le mélange des deux langues espagnole et apache : les blancs se rient des menaces de l’Oiseau-Noir et ils méprisent ses promesses.

— Bon, reprit l’Indien, les blancs sont braves, et ils auront besoin de toute leur bravoure. Les hommes blancs du Sud sont attaqués maintenant, pourquoi les hommes du Nord ne sont-ils pas contre eux ?

— Parce que vous y êtes, oiseau de lugubre plumage ; parce que les lions ne chassent pas avec des chacals, que les chacals ne savent que hurler quand le lion dévore. Attrape le compliment, drôle, c’est de la plus fine fleur de rhétorique indienne, ajouta Pepe exaspéré.

— C’est bon ! reprit le chef. Les blancs font comme l’Indien vaincu insultant son vainqueur. Mais l’aigle se rit des injures de l’oiseau moqueur qui prend toutes les voix, et ce n’est pas à l’oiseau moqueur que l’aigle daigne s’adresser.