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— Parbleu ! si nous étions seuls tous deux, gagner l’autre côté de la rivière serait l’affaire d’une minute. Les sept cavaliers qui restent nous atteindraient sans doute ; à nous deux cependant nous en viendrions à bout, nous avons accompli jadis de plus difficiles exploits.

— Cela vaudrait mieux que de rester ici bloqués comme des renards qu’on peut enfumer dans leur trou.

— D’accord, reprit Bois-Rosé d’un air pensif ; mais Fabian ! mais le malheureux scalpé que nous ne pouvons abandonner ainsi à la merci des bourreaux qui l’ont déjà si cruellement mutilé ! Attendons du moins, pour tenter la fuite, que la lune en se couchant ait laissé à la nuit ses ténèbres ordinaires. »

Et le vieillard pencha sa tête sur ses genoux d’un air de découragement qui fit sur l’Espagnol une triste et pénible impression. Le Canadien ne quittait son attitude morne que pour jeter sur le ciel un regard anxieux. Mais la lune ne glissait que lentement, comme toujours, sur sa nappe d’azur étoilé.

« Soit ! dit Pepe en s’asseyant à côté de son compagnon. Mais tenez, voilà cinq morceaux de bois fichés en terre, ce sont cinq Apaches morts ; ajoutons-en trois, ce sera huit. Il devait en rester douze, pourquoi n’en avons-nous compté que dix dans la rivière ? Je crois donc ne pas me tromper en pensant que l’Oiseau-Noir a envoyé les deux absents à la recherche d’un renfort.

— C’est possible, reprit Bois-Rosé. Que nous restions ou que nous fuyions, ce sont deux terribles alternatives. »

Cependant, quand les trois chasseurs eurent achevé un frugal repas composé de viande séchée au soleil et d’un peu de farine grossière de maïs, les lueurs de la lune tombaient déjà plus obliques sur les légers remous de la rivière ; déjà une partie de la cime des arbres était plongée dans l’ombre.

Plus d’une heure s’était écoulée depuis la tentative des Indiens, et, quoique nulle rumeur ne troublât la tran-