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Pepe prit la carabine des mains de Fabian et ajusta le corps flottant. Mais, à l’exception des yeux du guerrier qui dans leurs orbites semblaient des braises rouges, pas un de ses muscles ne tressaillit. Pepe abaissa sa carabine.

« Je me suis trompé, dit-il à haute voix, les blancs ne perdent pas comme des Indiens leur poudre sur des cadavres. »

Le corps flottait toujours sur le dos, les jambes écartées, les bras étendus en croix, et le fil de l’eau le faisait dériver doucement. Pepe reprit son arme et ajusta encore avec plus de soin que la première fois, puis il laissa de nouveau retomber la crosse de sa carabine, et, quand il crut avoir rendu angoisse pour angoisse au chef indien, il lâcha son coup et le cadavre ne flotta plus.

« L’avez-vous tué ? dit le Canadien.

— Non ! je n’ai voulu que lui casser une épaule pour qu’il se rappelât toujours le frisson qu’il m’a donné et la trahison qu’il nous a proposée. S’il était mort, il flotterait toujours.

— Vous auriez mieux fait de le tuer, reprit Bois-Rosé. Ah ! s’écria-t-il en frappant du pied la terre, que faire à présent ? J’espérais en finir en éventrant ces démons corps à corps, et voilà maintenant que tout est à recommencer. Nous ne pouvons traverser l’île pour les attaquer.

— C’est cependant ce que nous ferions de mieux.

— Avec Fabian, je ne m’y déciderai jamais, reprit Bois-Rosé à voix basse ; sans cela j’aurais déjà fui sur la rive opposée à celle que gardent encore les Indiens, car vous les connaissez trop bien pour ne pas savoir qu’ils sont là respirant la vengeance comme des loups affamés. »

L’Espagnol haussa les épaules avec une résignation stoïque. Il n’ignorait pas plus que le Canadien la ténacité de l’esprit de vengeance chez les Indiens.

« Sans doute, reprit-il ; mais il faut se résoudre à fuir ou à rester.