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il avança la tête avec précaution. La vue des cadavres étendus sur le sol de l’îlot ne sembla pas le surprendre. Peut-être, cependant, soupçonnait-il quelque ruse, car avec une audace que l’exemple d’un de ses compagnons, tué sur ce même arbre, ne devait pas encourager, l’Apache se montra tout entier et pointa sa carabine dans la direction de l’île. Son œil, comme celui du serpent, semblait vouloir fasciner ses ennemis ; tout d’un coup, il leva le canon de son arme en l’air, visa de nouveau, puis répéta encore la même manœuvre plusieurs fois de suite ; mais les chasseurs ne bougèrent pas plus que s’ils eussent été de véritables cadavres. Alors l’Indien poussa un cri de triomphe.

« Le requin mord à l’hameçon, dit Bois-Rosé.

— Je reconnaîtrai ce fils de chien, dit à son tour Pepe, et si je ne lui rends pas le malaise qu’il me cause, c’est que la balle qu’il va nous envoyer m’en empêchera.

— C’est l’Oiseau-Noir, reprit Bois-Rosé ; il est à la fois brave et prudent comme un chef. »

L’Indien dirigea une fois encore le canon de son fusil vers les corps qu’il apercevait en apparence sans vie, il ajusta avec autant de calme que le tireur qui dispute tranquillement le prix de la carabine dans une fête de village, et enfin il se décida à faire feu. Au même instant, un éclat détaché d’un tronc d’arbre à deux lignes de la tête de l’Espagnol vint déchirer son front. Pepe ne bougea pas plus que le bois mort contre lequel il s’appuyait, mais il se contenta de dire :

« Coquin de Peau-Rouge, je réglerai ton compte avant qu’il soit peu. »

Des gouttes de sang avaient jailli sur la figure du Canadien.

« Quelqu’un est-il blessé ? demanda-t-il d’une voix frémissante.

— Une égratignure, et rien de plus, répondit l’ex-miquelet.