« Voici l’heure où les démons des ténèbres vont tendre leurs pièges, dit gravement Bois-Rosé ; l’heure où ces jaguars humains rôdent en cherchant leur proie. C’est d’eux qu’a voulu parler l’Écriture. »
Personne ne répondit à cette phrase du Canadien, qui était plutôt une pensée traduite à haute voix qu’un avis de se tenir sur ses gardes.
Cependant l’ombre s’épaississait petit à petit. Les buissons qui croissaient sur la rive commençaient à prendre les formes fantastiques que donne aux objets dans la campagne la lumière incertaine du crépuscule.
La verdure des arbres se glaçait de tons noirs ; mais l’habitude avait donné aux deux chasseurs, le Canadien et l’Espagnol, l’œil perçant des Indiens eux-mêmes, et rien, avec la vigilance qu’ils déployaient, n’aurait pu mettre en défaut leurs sens exercés.
« Pepe, reprit le chasseur à voix plus basse, comme si tout d’un coup le danger attendu se présentait, ne vous semble-t-il pas que ce buisson, là-bas, et il montrait du doigt à travers les roseaux une touffe d’osiers, a changé de forme et qu’il s’est élargi ?
— Oui, répondit l’Espagnol, le buisson a changé de forme.
— Voyons, Fabian, continua le chasseur canadien, vous qui avez la vue perçante que j’avais à votre âge, ne vous semble-t-il pas qu’à son extrémité de gauche cette touffe d’osiers ne dresse plus ses feuilles comme celles qu’alimente encore la sève des racines ? »
— Le jeune homme écarta légèrement les roseaux et considéra d’un œil attentif le point indiqué par Bois-Rosé.
« Je le jugerais, dit-il, mais… »
Il s’interrompit pour regarder à quelque distance de là…
« Eh bien ! demanda le Canadien, apercevez-vous quelque autre chose, oui ou non ?