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forteresse de pierre. Vous ne serez exposé qu’aux balles qui pourraient partir du haut des arbres du rivage ; mais je ferai en sorte qu’aucun de ces diables incarnés n’en atteigne le sommet. »

Le Canadien se frottait les mains de contentement d’avoir élevé entre Fabian et la mort une barrière suffisante, et il lui désigna son poste derrière l’endroit le mieux retranché.

« Avez-vous remarqué, demanda Bois-Rosé à Pepe, comme, à chaque effort que nous faisions pour casser une branche ou dégager un bloc de bois, l’îlot tremblait dans ses fondements ?

— Oui, dit Pepe, on aurait dit qu’il allait s’arracher de sa base pour suivre le cours de l’eau.

Mais les deux chasseurs sentaient que le moment du péril approchait, et que la trêve allait expirer pour être suivie d’une longue et mortelle lutte.

Le Canadien recommanda à ses deux compagnons de ménager leurs munitions ; il donna à Fabian quelques instructions pour tirer plus juste ; il serra de sa main émue la main de l’Espagnol, qui lui rendit une silencieuse étreinte, puis il pressa Fabian sur son cœur avec une tendresse inquiète. Ce tribut une fois payé à la tendresse humaine, les trois défenseurs de l’îlot se remirent silencieusement à leur poste, avec un stoïcisme qu’un Indien n’eût point dépassé.

Quelques instants s’écoulèrent pendant lesquels la respiration oppressée du blessé, le clapotis de l’eau contre le radeau en travers de son cours furent les seuls bruits qui troublèrent le silence profond de la nature à l’heure où le soleil va disparaître.

La surface de la rivière, le sommet des trembles croissant sur la rive, les rives elles mêmes et leurs roseaux, rien n’échappait à l’examen attentif des chasseurs, au moment où la nuit allait tomber rapidement avec son cortège d’embûches.