Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans ses yeux, dans son visage, on pouvait deviner que l’ambition et la vengeance devaient être les besoins dominants de cet homme.

Des cheveux noirs et bouclés tempéraient seuls un peu la sévérité de sa physionomie. Quant au costume qu’il portait, c’était celui d’un officier de la marine espagnole.

Un regard, qui eût effrayé tout autre que le miquelet, décela l’impatience qu’il éprouvait de se voir examiné par le garde-côte.

« Trêve de plaisanteries, drôle : que veux-tu ? Parle, fit l’étranger.

— Causons d’affaires, dit Pepe, je le veux bien. D’abord, quand vos deux hommes vont rapporter mon manteau et ma lanterne qu’ils sont assez fins pour capturer, vous leur donnerez l’ordre de se tenir à distance ; de cette manière nous causerons sans être interrompus ; autrement, d’un coup de cette carabine, qui vous étend roide mort, je donne l’alarme et je pousse au large. Qu’en dites-vous ? Rien. Soit ; cette réponse en vaut une autre. Je continue. Vous avez donné à mon capitaine quarante onces ? dit le miquelet avec impudence et au hasard, quitte à grossir la somme.

— Vingt, dit l’étranger sans réflexion.

— J’aurais mieux aimé que ce fût quarante, reprit Pepe ; or, on ne donne pas pareille somme pour le plaisir de faire une promenade sentimentale à l’Ensenada. Mon intervention doit vous gêner et je veux me faire payer ma neutralité.

— Combien ? dit l’inconnu pressé d’en finir.

— Une bagatelle. Vous avez donné quarante onces au capitaine…

— Vingt, te dis-je.

— J’aurais mieux aimé que ce fût quarante, répéta Pepe ; mais va pour vingt. Voyons, je ne veux pas être indiscret, je ne suis qu’un soldat, lui est capitaine ; je ne serai donc que raisonnable en exigeant le double de ce qu’il a reçu. »