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cuir de Cordoue qui protégeaient les pieds du blanc.

On vit alors le blanc s’asseoir sur le sable et dépouiller sa chaussure avec hésitation, avec lenteur, pour gagner peut-être encore quelques secondes.

« Les chiens ! les démons ! » s’écria Fabian.

Mais Bois-Rosé lui mit la main sur la bouche.

« Taisez-vous, dit-il, n’ôtez pas, en vous découvrant trop tôt, la dernière chance de vie qui reste à ce malheureux, notre protection à portée de carabine. »

Fabian comprit et ferma les yeux pour ne pas voir l’horrible scène qui allait se jouer devant lui.

Enfin le blanc était debout pour la seconde fois, et les Indiens, le pied étendu en avant, le dévoraient du regard. L’Oiseau-Noir frappa ses deux mains l’une contre l’autre.

On ne pourrait comparer les hurlements qui suivirent ce signal qu’aux rugissements d’une meute de jaguars après un troupeau de daims. Le malheureux captif semblait avoir les jambes d’un cerf, mais ceux qui le poursuivaient semblaient bondir après lui comme des tigres en chasse.

Grâce à l’avance qu’il avait eue, le captif franchit sain et sauf une partie de la distance qui le séparait du bord de la rivière. Mais les cailloux qui déchiraient ses pieds, les pointes aiguës des nopals qui les traversaient le firent chanceler bientôt. Il avait néanmoins quelque avance, quand un des Indiens bondit jusqu’à lui, et lui porta un furieux coup de lance. L’arme passa entre le corps et le bras de la victime, et l’Indien, perdant l’équilibre par la force de ce coup à faux, tomba rudement sur le sable.

Gayferos, on se rappelle que c’est le nom de cet homme, parut hésiter un instant s’il ramasserait la lance échappée à la main de l’Indien dans sa chute. Puis l’instinct de conservation lui fit reprendre sa course. Cette hésitation lui fut fatale.