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sûr de son affaire que jamais. Le tentateur va nous laisser enfin tranquilles quelques instants, jusqu’à ce qu’il en ait fini avec ce pauvre diable là-bas, ce qui ne sera pas long, car le supplice d’un blanc est un spectacle dont un Indien est toujours pressé de jouir.

— Mais ne serait-ce pas alors, s’écria Fabian, le cas de tenter quelque eflort en faveur de ce malheureux qu’attend un affreux supplice ? »

Bois-Rosé, à son tour, consulta son compagnon du regard, puis il répondit à Fabian :

« Nous ne disons pas non ; mais cependant j’espère toujours que quelque circonstance inattendue nous viendra en aide… Quoi qu’en dise Pepe, cet Indien peut douter encore, tandis que, si nous nous montrons, il ne doutera plus. »

Le vieillard prit une attitude pensive.

« Accepter une alliance avec ces démons, même contre don Estévan, serait une indigne lâcheté. Que faire ?… Que faire ?… » ajouta douloureusement le Canadien.

Une crainte le tourmentait encore. Il avait vu Fabian dans le péril quand son sang bouillonnait sous l’effervescence de la passion. Mais Fabian avait-il le courage froid, impassible, qui brave la mort sans colère ? Avait-il cette résignation stoïque dont l’Espagnol et lui, Bois-Rosé, avaient donné mille preuves ? Le Canadien prit un brusque parti.

« Écoutez, Fabian, dit-il, puis-je vous faire entendre le langage d’un homme ? les paroles que vos oreilles transmettront à votre cœur ne le glaceront-elles pas ?

— Pourquoi douter de mon courage ? répliqua simplement Fabian d’un ton de doux reproche. Quoi que vous disiez, je l’entendrai sans pâlir ; quoi que vous fassiez, je le ferai aussi sans trembler.

— Don Fabian dit vrai, Pepe ! s’écria le Canadien. Voyez comme son œil dément fièrement la simplicité de son langage. »