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tant on put le voir seul entre tant d’ennemis jeter autour de lui un regard de désespoir et d’angoisse. Mais, excepté du côté de la rivière, les Indiens étaient partout. C’était donc dans cette direction laissée libre qu’il devait fuir, et il tourna rapidement son cheval vers l’ouverture bordée d’arbres qui faisait face à l’îlot.

Mais le moment pendant lequel il était resté indécis avait suffi pour que les Indiens se fussent déjà rapprochés les uns des autres.

« Ce malheureux est perdu quoi qu’il fasse, dit Bois-Rosé, il est trop tard maintenant pour traverser la rivière.

— Bois-Rosé, Pepe, s’écria Fabian, si nous pouvons sauver un chrétien, le laisserons-nous égorger sous nos yeux ? »

Pepe consulta Bois-Rosé du regard.

« Je réponds de votre vie devant Dieu, dit solennellement le Canadien, je ne pourrais en répondre si nous étions découverts, nous ne sommes que trois contre vingt. La vie de trois hommes, la vôtre surtout, Fabian, est plus précieuse que celle d’un seul ; nous devons laisser s’accomplir le sort de ce malheureux.

— Mais retranchés comme nous le sommes ?… insista généreusement Fabian.

— Retranchés comme nous le sommes ! reprit Bois-Rosé, appelez-vous retranchement ce frêle rempart d’osiers, de sagittaires et de roseaux ? Pensez-vous que ces feuilles soient à l’épreuve des balles ? Et puis ces Indiens sont au nombre de vingt maintenant ; qu’une balle échappée à l’une de nos carabines couche par terre un de ces démons rouges, bientôt vous en verrez cent au lieu de vingt : que Dieu me pardonne ma dureté, mais elle est nécessaire. »

Fabian n’insista plus devant cette dernière raison. Elle n’était que trop plausible, car il ignorait que le gros de la troupe se fût dirigé vers le camp de don Estévan.