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Ces vastes savanes, naguère si désertes, étaient changées tout d’un coup en une scène pleine de confusion et de tumulte. Le cerf aux abois, forcé de reprendre terre sur la rive, continuait à fuir comme le vent, tandis que les loups, animés par leurs efforts, le poursuivaient en hurlant. Les chevaux sauvages galopaient devant les Indiens dont les hurlements ne le cédaient pas à ceux des animaux carnassiers, et décrivaient de grands cercles pour échapper à la lance ou au lazo. De nombreux échos répétaient les vagissements des loups et les hurlements confus et effrayants des Apaches.

À la vue de Fabian qui suivait d’un œil ardent toutes ces évolutions tumultueuses, sans paraître s’inquiéter d’un danger qu’il bravait pour la première fois, Bois-Rosé invoquait en vain cette confiance en lui-même qui l’avait tiré sain et sauf de périls plus menaçants que celui, peu probable sans doute, d’être découvert.

« Ah ! commença-t-il, voilà de ces scènes que les habitants des villes ne verront jamais ; ce n’est que dans les déserts qu’on peut les rencontrer… »

Mais sa voix tremblait malgré lui, et il s’arrêta ; car il sentit qu’il eût donné un an de sa vie pour que son enfant n’en fût pas témoin. Un sujet d’appréhension plus vive vint ajouter encore à ses angoisses.

Sans changer d’aspect, la scène devenait plus solennelle, un nouvel acteur, et un acteur dont le rôle allait être court, mais terrible, venait de s’y mêler. C’était un cavalier qu’à son costume les trois amis en frémissant reconnurent pour un blanc, un chrétien comme eux.

Le malheureux, subitement découvert dans l’une des évolutions de la chasse indienne, était devenu à son tour l’objet d’une poursuite exclusive. Les chevaux sauvages, les loups, le cerf, avaient disparu dans la brume lointaine. Il ne restait plus que les vingt cavaliers indiens disséminés sur tous les points d’une immense circonférence, dont le cavalier blanc occupait le centre. Un ins-