Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tressé, tous poussaient ces hurlements par lesquels ils témoignent leur joie ou leur colère.

Pepe lança un regard interrogateur au Canadien comme pour lui demander s’il avait compté sur ces terribles chances pour faire chérir à Fabian leur carrière aventureuse. Pour la première fois dans un semblable moment, le front de l’intrépide chasseur se couvrit d’une pâleur mortelle. Un regard morne, mais éloquent, fut la réponse de Bois-Rosé à l’interrogation muette de l’Espagnol.

« Cela veut dire, pensa Pepe, qu’une affection trop vive dans le cœur de l’homme le plus brave, le fait trembler pour celui qu’il aime plus que sa vie, et qu’un aventurier comme nous ne doit avoir aucun lien dans ce monde. Voilà Bois-Rosé qui se sent défaillir comme une femme. »

Cependant il y avait presque certitude que l’œil si exercé des Indiens eux-mêmes ne pouvait percer le mystère de leur retraite. Les trois chasseurs, une fois cette première alarme passée, examinèrent donc plus froidement les manœuvres de l’ennemi.

Pendant un moment encore, les sauvages cavaliers continuèrent à poursuivre les chevaux qui fuyaient. Les obstacles sans nombre dont sont semées ces plaines en apparence si unies, les ravins, les monticules, les cactus aux pointes aiguës ne pouvaient les arrêter. Sans daigner ralentir l’impétuosité de leur course, ou tourner ces obstacles, les guerriers indiens les franchissaient avec une audace que rien n’intimidait. Hardi cavalier comme il l’était lui-même, Fabian considérait avec enthousiasme l’étonnante agilité de ces intrépides chasseurs ; mais les précautions qu’étaient obligés de prendre les trois amis pour se dérober à l’œil des Indiens, leur faisaient perdre une partie du spectacle imposant et terrible à la fois d’une chasse dont ils pouvaient eux-mêmes devenir l’objet.