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grands fleuves, sur le bord des grands lacs du Nord…

— L’animal vient de se débarrasser de son ennemi, interrompit Fabian ; il va s’élancer dans la rivière. »

L’eau frémit et bouillonna sous l’élan du cerf ; après lui, elle bouillonna et frémit encore une dizaine de fois ; puis, du milieu du flot d’écume on vit à la fois sortir la tête et la ramure du cerf, et les têtes des loups acharnés à sa poursuite, l’œil sanglant, hurlant de faim et de convoitise, tandis que les autres, plus timides, parcouraient follement les rives du fleuve en poussant de lamentables glapissements.

Le cerf n’était plus qu’à quelques distances de l’îlot occupé par les spectateurs de son agonie, quand les loups restés sur le rivage cessèrent tout à coup leurs cris et s’enfuirent avec précipitation.

« Eh ! qu’est-ceci ? s’écria Pepe ; d’où leur vient cette panique subite ? »

L’ex-miquelet n’eut pas plutôt fait cette question, que le spectacle qui le frappa subitement se chargea de la réponse.

« Baissez-vous, baissez-vous pour Dieu ! derrière les herbes, dit-il en donnant l’exemple ; les Indiens sont en chasse aussi. »

En effet, d’autres chasseurs plus redoutables apparaissaient à leur tour sur la vaste arène appartenant à tous venants dans ces déserts sans maîtres.

Une douzaine de ces chevaux sauvages que le Canadien et Pepe avaient vus venir se désaltérer galopaient éperdus dans la plaine. Des cavaliers indiens, montés à poil sur leurs chevaux qu’ils avaient dessellés pour les rendre plus agiles, accroupis sur leurs montures, les genoux presque à la hauteur du menton pour leur laisser toute liberté d’allures, bondissaient derrière les animaux effrayés. Il n’y avait d’abord que trois Indiens visibles ; mais, un à un, il en surgit une vingtaine à peu près des limites de l’horizon. Les uns étaient armés de lances, d’autres faisaient tournoyer dans l’air leurs lazos de cuir