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noirs, galopaient à sa poursuite avec la rapidité de boulets qui ricochent dans une plaine.

Le cerf avait sur eux une immense avance ; mais sur les dunes de sables qui jonchaient la savane, et se confondaient presque avec l’horizon, l’œil perçant d’un chasseur pouvait distinguer d’autres loups en sentinelles épiant les efforts de leurs compagnons pour pousser le cerf vers eux.

Le noble animal semblait ne pas les voir ou dédaigner leur présence, car il fuyait toujours de leur côté.

Arrivé à une certaine distance des sentinelles qui lui fermaient le passage, il s’arrêta un instant.

En effet, le cerf se trouvait renfermé dans un cercle d’ennemis qui se rétrécissait toujours autour de lui, et il s’arrêta pour reprendre un peu haleine. Tout à coup il fit volte-face, revint sur les loups qui le rabattaient vers leur embuscade, et tenta, pour échapper à ce groupe d’ennemis, un suprême et dernier effort. Mais il ne put franchir le bloc compact qu’ils formaient et il tomba au milieu d’eux. Les uns, écrasés, roulèrent sous ses pieds, deux ou trois décrivirent en l’air une parabole en perdant leurs entrailles. Puis, avec un loup cramponné à ses jarrets, les flancs saignants, la langue pendante, le pauvre animal s’avança vers le bord de l’eau en face des trois spectateurs de cette étrange chasse.

« C’est beau, c’est magnifique ! s’écria Fabian en battant des mains, emporté par ce délire du chasseur qui fait taire l’humanité dans le cœur de presque tous les hommes.

— N’est-ce pas que c’est beau ? s’écria à son tour le vieux Canadien, doublement heureux et de la joie de Fabian, et de celle qu’il éprouvait lui-même. Allez, mon enfant nous en verrons bien d’autres. Vous ne voyez ici que le vilain côté des solitudes d’Amérique ; mais quand vous serez avec Pepe et moi sur la rive des