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a son temps, Bois-Rosé, la maturité aime le silence, la jeunesse ne rêve à son aise qu’au milieu du bruit. »

L’illusion chez Bois-Rosé luttait encore contre la réalité. C’était la goutte de fiel que Dieu met au fond de toute coupe de bonheur : il ne veut pas qu’il y ait de félicité parfaite, car on aurait trop de peine à mourir, comme il ne veut pas non plus de malheur sans compensation, car on aurait trop de peine à vivre.

Le Canadien inclina pensivement la tête sur sa poitrine et rêvait tristement tout en jetant un regard à la dérobée sur son fils endormi, tandis que Pepe chaussait de nouveau ses brodequins de peau de bufle.

« Eh ! tenez, que vous disais-je ? N’entendez-vous pas au loin ces hurlements, je devrais dire ces aboiements, car les loups qui chassent donnent de la voix comme les chiens. Pauvre cerf ! c’est bien, comme vous disiez, l’emblème de la vie dans le désert.

— Éveillerai-je Fabian, cette fois, demanda le Canadien d’un air de triomphe.

— Oui, certes, reprit l’Espagnol, car si ses rêves ont été de ceux que j’imagine, après un rêve d’amour le spectacle d’une belle chasse est le plus digne d’un grand seigneur comme il le sera, et rarement même il en verra de pareille.

— Le fait est qu’il n’en verra de semblable dans aucune ville, s’écria le Canadien enchanté ; de telles scènes lui feront aimer le désert. »

Et le vieux chasseur secoua doucement le jeune homme, après l’avoir averti de la voix pour lui éviter de se réveiller en sursaut.

Le bois sur les reins, le cou gonflé, la tête renversée en arrière pour aspirer plus facilement par ses naseaux l’air nécessaire à ses larges poumons, le cerf fuyait comme une flèche à travers l’immensité. Derrière lui une meute affamée de loups, les uns blancs, la plupart