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dent, les naseaux rouges et ouverts, les crinières flottantes. Ah ! j’ai envie de réveiller Fabian pour qu’il les voie et les admire.

— Laissez-le dormir, Bois-Rosé ; peut-être ses rêves, les rêves qu’on fait à son âge, lui montrent-ils de plus gracieuses apparitions que ne lui en présenteront jamais les déserts et qui foisonnent dans nos villes d’Espagne sur les balcons ou derrière les fenêtres grillées. »

Le vieux chasseur soupira.

« Et cependant, ajouta-t-il, c’est un beau spectacle que celui-ci ! Ah ! comme ces nobles bêtes bondissent de joie dans l’enivrement de leur liberté !

— Oui, jusqu’au moment où les Indiens leur donneront la chasse, et où alors ils bondiront de terreur.

— Les voilà partis rapides comme le nuage que le vent chasse, continua le Canadien qui luttait encore contre sa raison. À présent, la scène change : tenez, voyez-vous ce cerf qui montre de temps à autre ses grands yeux brillants et son mufle noir dans l’interstice des arbres ? il flaire le vent, il écoute. Ah ! le voilà qui s’approche pour boire à son tour. Il a entendu du bruit, il lève la tête : ne dirait-on pas que ces filets d’eau que sa bouche laisse échapper sont d’or liquide, à la manière dont le soleil les colore ? Du coup, je vais réveiller l’enfant.

— Laissez-le dormir, vous dis-je, peut-être a-t-il maintenant un songe qui lui montre, au lieu de ce bel animal, des yeux noirs et des lèvres roses souriant derrière les saules, ou quelque nymphe endormie sur le bord d’un clair ruisseau, comme une fleur tombée d’un bouquet et oubliée sur l’herbe.

Le vieux Canadien soupira de nouveau.

« Ce cerf n’est-il pas aussi l’emblème de l’indépendance sans limites ?

— Jusqu’au moment où les loups se rassembleront pour le poursuivre et le déchirer. Peut-être aurait-il plus de chances de vie dans nos parcs royaux. Chaque chose