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moi, de le faire héritier de son oncle avant qu’il soit longtemps, et l’ancien miquelet une différence notable. À lui on lui rendra de belles terres, un grand nom, un beau château gothique avec des tourelles historiées comme la cathédrale de Burgos, tandis que moi on s’empresserait de me renvoyer pêcher du thon à Ceuta, ce qui est bien la vie la plus exécrable que je connaisse, et à laquelle je n’aurais qu’une chance d’échapper, celle de me réveiller un beau matin à Tunis ou à Tetuan, esclave de nos voisins les Maures d’Afrique. J’ai ici, il est vrai, la chance quotidienne d’être scalpé ou écorché vif par les Indiens, ce qui me ferait dire plus volontiers que les villes sont aussi dangereuses pour moi que les déserts ; mais pour don Fabian…

— Fabian a toujours vécu dans la solitude, interrompit le Canadien, et il préférera, je pense, le calme des déserts au tapage des villes. Comme autour de nous tout est silencieux et solennel ! Voyez ici, et il montrait de la main le jeune homme endormi, l’enfant comme il dort, doucement bercé par le murmure du flot qui caresse cette petite île, et par la brise qui souffle dans les saules. Voyez là-bas, et il désignait l’horizon, ces brouillards que le soleil commence à colorer, et cette immensité sans bornes où l’homme erre, dans sa liberté primitive, comme l’oiseau qui plane dans les régions de l’air. »

L’Espagnol secouait la tête d’un air de doute, quoiqu’il partageât assez volontiers les idées du Canadien, et que l’habitude lui eût aussi rendu la vie errante pleine de charmes secrets.

« Tenez, continua le vieux chasseur, ce nuage de poussière là-bas sur les bords de la rivière, c’est une troupe de chevaux sauvages qui viennent s’abreuver avant de regagner pour la nuit leurs pâturages lointains. Les voilà ; ils s’approchent dans toute la fière beauté que Dieu donne aux animaux libres, l’œil ar-