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soixante lieues en douze jours ne soient pas un exploit, pour lui cependant, qui n’a pas l’habitude de fournir de longues traites autrement qu’à cheval, soixante lieues commencent à compter. Mais il n’aura pas été un an avec nous qu’il sera capable de marcher aussi longtemps que nous pouvons le faire nous-mêmes. »

Pepe ne put s’empêcher de sourire à cette réponse du Canadien ; mais celui-ci ne le vit pas, et l’ex-miquelet continua de battre de ses pieds l’eau fraîche de la rivière.

« Voyez, ajouta l’Espagnol en montrant Fabian endormi, combien le pauvre garçon a changé en quelques jours. Je le conçois sans peine ; quand j’étais à son âge, j’aurais préféré le simple minois chiffonné d’une manola et la Puerta del Sol, à Madrid, à toutes les magnificences du désert. La fatigue seule n’a pas produit ce changement chez lui. Il y a quelque secret là-dessous que le jeune homme ne nous dit pas ; mais je le pénétrerai quelque jour, » ajouta mentalement Pepe.

À ces mots, le Canadien tourna vivement la tête vers son enfant bien-aimé, et un sourire de joie de Fabian chassa le nuage soudain qui s’était amassé sur le front de son père adoptif.

Fabian, en effet, souriait : il rêvait qu’il écoutait à genoux devant Rosarita la douce voix de la jeune fille qui lui racontait ses angoisses pendant sa longue absence, et que, derrière lui, appuyé sur sa carabine, Bois-Rosé les contemplait tous deux en les bénissant.

Mais ce n’était qu’un rêve.

Les deux chasseurs restèrent un moment silencieux en contemplant Fabian endormi.

« Voilà donc le dernier descendant des Mediana, dit l’Espagnol avec un soupir.

— Qu’ont à faire à présent les Mediana et leur puissante race ? interrompit le Canadien. Je ne connais ici que Fabian tout court. Quand je l’ai sauvé, quand je m’y