Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/332

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il avait soigneusement caché au Canadien l’amour qu’il ensevelissait au fond de son cœur, et c’était seulement dans le silence des nuits pendant lesquelles il veillait que Fabian osait plonger de furtifs regards dans les replis secrets de son âme. Alors, comme le reflet lumineux qui dans l’obscurité du ciel brille à l’horizon au-dessus des grandes villes, et que l’exilé qui s’éloigne contemple avec bonheur, des lueurs lointaines s’élevaient dans l’immensité du désert aux yeux de Fabian, et lui montraient une image radieuse et toujours chérie sur cette brèche du mur de l’hacienda, où s’arrêtaient ses derniers souvenirs.

Mais pendant le jour, l’héroïque jeune homme essayait de cacher sous un calme apparent la mélancolie qui le dévorait. Il se contentait de sourire avec une résignation triste aux plans d’avenir que se hasardait parfois à dérouler devant lui le Canadien heureux d’avoir retrouvé, et tremblant de perdre encore, celui dont la main fermerait un jour ses yeux quand il s’endormirait pour jamais dans ces déserts où sa vie devait s’écouler.

La tendresse aveugle de Bois-Rosé ne devinait pas le gouffre sous la surface calme du lac. Pepe seul semblait plus clairvoyant.

C’est sous l’impression de ces idées que nous retrouvons les trois compagnons dans l’îlot de la rivière de Gila.

« Certainement, dit le chasseur espagnol, les habitants de Madrid payeraient bien cher un cours d’eau semblable dans le Manzanarès ; mais il n’en résulte pas moins que voici toute une journée perdue qui aurait pu être employée utilement à nous rapprocher du val d’Or, dont nous ne devons pas être éloignés à l’heure qu’il est.

— J’en conviens, reprit Bois-Rosé ; mais l’enfant, et par ce mot il désignait le vigoureux jeune homme qui dormait sous ses yeux, n’a pas comme nous l’habitude des longues marches à pied, et quoique pour nous