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Fabian n’avait pas tardé non plus à comprendre que l’ardente et jalouse tendresse du Canadien avait fait de lui le but exclusif de sa vie ; que, pareil à l’aigle qui arrache son aiglon de la main de l’homme pour l’emporter dans son aire accessible à lui seul, Bois-Rosé, qui avait dit pour jamais adieu à la vie civilisée, comme les coureurs des bois ses pareils, voulait faire de lui son compagnon inséparable dans les déserts, et que tromper cet espoir, c’était jeter un voile de deuil sur l’avenir du vieillard. Cependant aucune confidence relative à leurs projets d’avenir n’avait été échangée entre Fabian et Bois-Rosé. Mais devant un amour qu’il croyait sans espoir, devant les vœux ardents, quoique secrets, de l’homme qui, pendant deux ans, lui avait servi de père, et dont une séparation devait briser le cœur, Fabian avait fait un généreux et silencieux sacrifice de ses goûts et d’espérances qui s’obstinaient à ne pas mourir.

Nous ne pourrions mieux comparer, en un mot, la situation de Fabian, qui n’avait pour ainsi dire qu’à tendre la main vers des biens que tout le monde envie, la richesse, les titres et les honneurs, qu’à celui dont un amour malheureux a défloré la vie, et qui, dédaignant l’avenir, cherche dans un cloître l’oubli du passé. Pour Fabian de Mediana, le cloître, c’était le désert ; et, sa mère une fois vengée, il ne lui restait plus qu’à s’y ensevelir pour jamais. Triste et inefficace remède que la solitude avec ses voix mystérieuses, les contemplations ardentes qu’elle excite et les extases sans fin qu’elle éveille, pour une passion que la solitude elle-même avait si profondément développée dans le jeune cœur de Fabian !

Un seul espoir lui restait : c’était qu’au milieu des dangers toujours renaissants d’une vie aventureuse, le jour n’était pas loin peut-être où sa vie se terminerait dans quelque rencontre avec les Indiens, ou bien dans une des tentatives désespérées qu’il se promettait contre le meurtrier de sa mère.