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pour lever le voile dont le jeune comte cachait aux yeux de ses deux amis ses plus secrètes et plus chères pensées.

Au moment de la chute de Fabian dans le torrent, Pepe avait oublié que l’ennemi dont il avait juré de tirer vengeance échappait à sa haine. Le Canadien et lui n’avaient songé qu’à porter un prompt secours à Fabian.

En revenant à la vie, le cœur encore déchiré du récit de l’ex-miquelet, le premier mouvement de Fabian avait été de reprendre une poursuite interrompue. La conquête du val d’Or, le souvenir toujours présent de doña Rosario avaient un instant disparu devant un impérieux besoin de venger sa mère.

Pepe, de son côté, n’était pas homme à renoncer au serment qu’il avait fait. Quant à Bois-Rosé, toutes ses affections se concentraient sur ses deux compagnons, et il les eût suivis jusqu’aux extrémités du monde.

Cet échec momentané, loin de les décourager, n’avait fait qu’exciter leur ardeur. En amour comme en haine, les obstacles sont toujours un puissant stimulant chez les âmes vigoureusement trempées. Peu à peu cette poursuite avait présenté un double but à Fabian. Elle le rapprochait de ce val d’Or situé dans les déserts où don Antonio allait s’engager, et il nourrissait un vague espoir : peut-être le placer qui lui avait été révélé n’était-il pas le même que celui dont l’expédition conduite par le duc de l’Armada se proposait la conquête. Revenu à des idées plus raisonnables, Fabian se disait que la fille de don Augustin n’obéissait sans doute qu’aux vues ambitieuses de son père, et que lui, noble et riche, il lui serait facile de l’emporter sur un rival tel que le sénateur Tragaduros.

Mais aussi, peu à peu le découragement était revenu s’emparer de Fabian. Il aimait la fille de l’hacendero de toutes les forces de son âme, et la pensée de ne devoir son amour qu’aux trésors qu’il poursuivait avait produit ce découragement dont il était victime.