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« Il était cependant bien vivant quand je l’ai pris, s’écria l’aventurier ; mais ces chiens d’Indiens sont ainsi faits, que celui-là se sera laissé mourir pour ne pas parler. »

Sans daigner sourire à cette atroce plaisanterie, don Estévan fit signe à Diaz de l’accompagner en un endroit du camp où ils pussent tenir conseil sans être entendus. Quand les derniers venus se furent également couchés sur la terre, et que le silence régna de nouveau :

« Diaz, dit Arechiza, nous touchons au terme de notre expédition ; demain, je vous l’ai dit, nous camperons au pied de ces montagnes ; mais, pour que le succès couronne nos efforts, il faut que la trahison ne vienne pas y mettre d’obstacle. C’est à ce sujet que je veux vous consulter ce soir et m’ouvrir à vous sans réserve. Vous connaissez Cuchillo de longue date, continua don Estévan, mais depuis moins longtemps, et, certes moins à fond que moi. Dès sa plus tendre jeunesse, il a fait métier de trahir ceux à qui il paraissait le plus dévoué. Je ne sais pas lequel l’emporte chez lui de tous les vices dont il est si largement doté ; en un mot, l’aspect sinistre de son visage ne trahit encore qu’un reflet affaibli de la noirceur de son âme. Ce riche et mystérieux placer vers lequel je vous conduis, et dont la dépouille doit payer la glorieuse régénération de la Sonora, c’est lui, vous ai-je dit encore, qui m’en a vendu le secret. Ce secret, j’ai su comment il s’en était rendu le seul maître : c’est en égorgeant l’ami qui le lui avait livré gratuitement, tandis que ce malheureux pensait trouver en lui un compagnon fidèle de ses dangers. J’ai donc toujours eu l’œil ouvert sur Cuchillo ; ce soir, sa disparition m’avait alarmé ; mais elle pouvait être le résultat d’un accident bien commun dans ces déserts ; l’attaque dont nous avons failli être tous victimes a confirmé mes soupçons. Il s’était avancé de nouveau sous notre protection jusqu’à l’endroit où sa main pouvait