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pense, » ajouta le vieux pâtre d’une voix si faible, que le son en parvint à peine à l’oreille de celui qui l’écoutait.

Ce fut aussi la dernière parole qui s’échappa des lèvres de Benito. Il s’était endormi dans le fatalisme optimiste qui faisait le fond de son caractère.

« C’était un brave serviteur, se dit à lui-même le chercheur nocturne. Que la paix soit avec lui ! »

Après cela il continua d’interroger encore ces vestiges sanglants disséminés sur le sable, puis, le front soucieux, fatigué d’une recherche inutile, il revint pensivement reprendre la place qu’il occupait. Dès lors la froide et unique immobilité de la mort parut envelopper de nouveau le camp tout entier, comme si le dernier vivant se fût couché pour mourir à son tour.

Cependant un bruit confus de voix et de chevaux signala le retour des aventuriers engagés à la poursuite des Apaches, et à la clarté douteuse que jetaient encore les foyers presque éteints, on les vit rentrer dans le camp. Le même homme qui s’était déjà levé vint à leur rencontre et les interrogea. Tandis que plusieurs cavaliers mettaient pied à terre pour s’ouvrir un passage à travers les barricades, Pedro Diaz s’avança vers lui. Une sueur de sang découlait de son front.

« Seigneur don Estévan, lui dit-il, nous n’avons pas été heureux dans notre poursuite. À peine avons-nous pu passer au fil de la lance un ou deux fuyards, et encore avons-nous perdu un des nôtres. Cependant j’amène un prisonnier : vous plaît-il que nous l’interrogions ? »

En disant ces mots, Diaz détacha son lazo de l’arçon de sa selle, et montra du doigt une masse informe serrée par le nœud coulant. C’était un Indien qui, impitoyablement traîné parmi les pierres et les ronces de la plaine, avait laissé à chaque pas un lambeau de chair, et n’offrait pour ainsi dire, aucun vestige de forme humaine.