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curité, de reconnaître de quel endroit partait la voix qui l’appelait. Un faible mouvement de la main que fit un de ceux qui étaient étendus sous ses yeux fixa son incertitude. Il s’approcha du mourant, et, à l’aide du peu de lumière que répandait le tison qu’il promenait sur son visage, il reconnut l’homme couché à ses pieds.

« Ah ! c’est vous, mon pauvre Benito, dit-il, tandis que sa figure exprimait un sentiment de pitié profonde.

— Oui, dit l’ancien pâtre, c’est le vieux Benito qui meurt dans le désert comme il y a presque toujours vécu… Quant à moi, je ne sais qui vous êtes, mes yeux sont obscurcis… Baraja est-il toujours du monde ?

— Je le pense, répondit l’homme ; il est maintenant à la poursuite des Indiens, et il reviendra assez tôt, je l’espère, pour vous dire un dernier adieu.

— J’en doute, reprit Benito. J’avais voulu lui apprendre un dernier verset de la prière des agonisants… moi, je ne me le rappelle plus à présent ; n’en savez-vous pas quelqu’un ?

— Pas un lambeau, répondit l’interlocuteur du moribond.

— Alors je m’en passerai, » répondit Benito, que son admirable stoïcisme n’abandonnait pas dans ce moment suprême ; puis il reprit d’une voix plus faible encore : « J’ai légué à Baraja un vieux compagnon, un vieil ami ; qui que vous soyez, recommandez-lui mes derniers désirs, qu’il l’aime comme moi…

— Un frère sans doute ?

— Mieux que cela : mon cheval.

— Je lui répéterai vos dernières recommandations, n’en doutez pas.

— Merci, reprit le vieillard ; quant à moi, j’ai fini mes caravanes. Les Indiens, dans ma jeunesse, ne m’ont pas tué quand ils m’avaient fait prisonnier ; ils m’ont tué dans ma vieillesse sans me prendre, cela… » Il s’arrêta. C’était la dernière réticence du vieillard. « Cela se com-