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Une autre demi-heure encore s’écoula, pendant laquelle le garde-côte ne vit rien que l’immensité vide devant lui. Rien ne troublait la continuité de la ligne blanchâtre que traçait la mer en se confondant avec le ciel. De gros nuages noirs voilaient et découvraient tour à tour la lune qui venait de se lever, et, soit que l’horizon fût alternativement brillant comme de l’argent en fusion ou noir comme un crêpe funèbre, aucun objet n’annonçait, sur l’Océan, la présence de l’homme.

Il y avait tant d’intensité dans le regard du miquelet, qu’il lui semblait voir des étincelles voltiger devant lui. Fatigué de cette attention soutenue, il ferma les yeux et concentra toute la puissance de ses organes dans son ouïe. Tout à coup un bruit faible glissa sur la surface des eaux et parvint jusqu’à lui ; puis une légère brise de terre chassa le son au large, et il n’entendit plus rien. Ne sachant s’il était le jouet d’une illusion, le miquelet ouvrit de nouveau les yeux ; mais l’obscurité de la nuit ne lui permit pas de rien voir.

Il referma les yeux pour écouter encore. Cette fois, un son cadencé, comme celui que produisent les avirons qui fendent discrètement la surface de l’eau et le grincement affaibli des tollets (chevilles qui fixent l’aviron), parvint à ses oreilles.

« Enfin, nous y voilà ! » dit Pepe avec un soupir de satisfaction.

Un point noir presque imperceptible parut à l’horizon, puis grossit rapidement, et bientôt un canot se montra, suivi d’un léger sillon d’écume.

Pepe s’était précipitamment couché à plat ventre, de peur que sa silhouette ne fût aperçue du canot ; mais, de la position élevée qu’il occupait, il ne pouvait pas le perdre de vue un seul instant. Il le vit bientôt s’arrêter, les avirons immobiles, comme l’oiseau de mer qui plane pour choisir le côté vers lequel il s’élancera, puis, tout à coup, reprendre son mouvement vers le rivage de la baie.