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du psaume des agonisants, cela peut vous servir à vous comme…

— Eh bien, s’écria Baraja en voyant que le vieillard n’achevait pas, avez-vous quelque effrayante nouvelle à m’annoncer ? »

L’ancien vaquero ne répondit rien ; mais l’aventurier sentit le bras de Benito serrer convulsivement le sien. Le spectacle qui frappa Baraja était plus terrible que la plus terrible des réponses du vieillard. Ses yeux roulaient dans leurs orbites, et l’une de ses mains essayait vainement d’étancher le sang qui coulait d’une large blessure. Une flèche venue en sifflant s’était enfoncée dans sa gorge ; Benito tomba en s’écriant :

« Il n’arrive que ce qui doit arriver. Allez, ajouta-t-il en repoussant les soins que Baraja essayait de lui donner, mon heure est venue… pensez à mon… vieil ami… »

Les flots de sang qui sortaient de sa blessure lui coupèrent la parole.

En ce moment, les mieux montés des Apaches se montrèrent dans la plaine éclairée par la lune.

Les voyageurs qui n’ont rencontré que des Indiens mansos (civilisés) se feraient difficilement une idée, d’après eux, de la race des Indiens sauvages.

Rien ne ressemblait moins à la famille dégénérée des Indiens des villes que ces fils indomptés des déserts, qui, semblables à l’oiseau de proie traçant dans l’air ses évolutions circulaires avant de fondre sur ses victimes, poussaient en hurlant leurs chevaux autour du camp. Ces figures, hideusement barbouillées de rouge, venaient de temps à autre s’éclairer du reflet des feux. Les longs cheveux que le vent faisait flotter au-dessus de leur tête, les lanières de cuir de leurs vêtements qui, dans la rapidité de la course, sifflaient autour d’eux comme des serpents, leurs cris perçants de bravade et de défi les faisaient ressembler aux démons auxquels on les a si justement comparés.