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Après avoir soigneusement promené en tous sens sa lanterne sourde, dont le cône lumineux lui démontra qu’il était bien seul de tous côtés, le miquelet la plaça de manière à éclairer le chemin creux qui conduisait au village, et se coucha dans son manteau, à dix pas plus loin, de façon qu’il pût dominer à la fois sur le chemin et sur la baie.

« Ah ! capitaine, se dit le miquelet, vous êtes un habile homme ; mais vous croyez trop aux gens qui dorment toujours, et du diable si je ne crois pas que vous êtes intéressé à ce que je dorme bien profondément ce soir. Qui sait, cependant ? » continua-t-il en s’arrangeant du mieux qu’il put dans son manteau.

Pendant environ une demi-heure, Pepe demeura seul, livré à ses pensées, interrogeant tour à tour de l’œil la baie et le chemin creux. Au bout de ce temps, il entendit crier le sable du sentier ; puis dans la lumière projetée par la lanterne, une forme noire apparut, et bientôt le capitaine des miquelets se laissa voir distinctement. Il eut l’air, pendant quelques minutes, de chercher quelque chose ; puis, apercevant à la fin le gardien de nuit couché :

« Pepe ! » s’écria-t-il à mi-voix.

Pepe n’eut garde de répondre.

« Pepe ! » reprit le capitaine d’un ton un peu plus élevé.

Le miquelet se tut aussi obstinément ; alors la voix de don Lucas cessa de se faire entendre, et bientôt le bruit de ses pas se perdit dans l’éloignement.

« Bon ! se dit Pepe, tout à l’heure j’étais assez sot pour douter encore, mais à présent je ne doute plus. Enfin un contrebandier a donc osé se risquer. Je serais bien maladroit, ma foi, si je n’en tire quelque bonne aubaine, fût-ce aux dépens de celle de mon chef. »

Le miquelet se leva d’un bond sur ses jambes.

« Ici, je ne suis plus Pepe le Dormeur, » dit-il en redressant sa haute taille.