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Au moment où Cuchillo marchait sans répondre aux nombreuses questions dont on l’accablait de tous côtés, un homme s’avançait, un tison enflammé à la main, pour mettre le feu aux fascines entassées de distance en distance, quand la voix de don Estévan se fit entendre.

« Pas encore ! s’écria le chef ; c’est peut-être une fausse alerte, et, jusqu’à ce que nous ayons la certitude d’être attaqués, nous ne devons pas éclairer le camp pour nous trahir. »

À ces mots de fausse alerte, on eût pu voir un sourire sinistre errer sur les lèvres de Cuchillo. L’homme rejeta son tison dans le foyer.

« En tout cas, ajouta don Estévan, que chacun selle son cheval et se trouve prêt. »

Ensuite il rentra dans sa tente, en faisant signe à Diaz de l’accompagner.

« Cela veut dire, ami Baraja, fit Benito, que, si l’ordre est donné d’allumer les feux, nous serons bien sûrs d’être attaqués. La nuit surtout, c’est terrible.

— Qui le sait mieux que moi ? dit Baraja.

— Vous êtes vous déjà trouvé la nuit à pareille fête ? demanda Benito.

— Jamais, voilà pourquoi je redoute si fort une attaque nocturne.

— Eh bien, si vous en aviez déjà vu, vous la…

— Je n’en aurais plus peur, se hâta d’interrompre Baraja.

— Vous la redouteriez encore davantage. »

Cuchillo, dans son trajet jusqu’à la tente de don Estévan, composa ou plutôt décomposa son visage. Il rejeta en arrière ses longs cheveux, comme si le vent d’une course précipitée les eût fait voltiger sur sa tête, puis il entra dans la tente en homme qui ne fait que de reprendre haleine, et en essuyant sur son front une sueur absente. Il avait d’ailleurs conservé son air d’impudence habituelle.