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L’Espagnol écarta une seconde fois le rideau de sa tente, et, montrant du doigt l’horizon :

« Encore un jour démarché, dit-il, et demain nous camperons au pied de ces montagnes là-bas.

— En effet, reprit Diaz, six lieues à peine nous en séparent.

— Ce n’est pas ce que je veux dire, ajouta don Estévan ; mais ce dais de brouillards qui en couronne le sommet, tandis qu’à leur base la lune éclaire et blanchit les plaines, savez-vous ce qu’il couvre ?

— Non, » dit le Mexicain.

Le duc de l’Armada jeta sur Diaz un regard qui semblait vouloir pénétrer jusqu’au fond de son âme. Au moment de révéler à l’aventurier le secret qu’il avait si soigneusement caché jusque-là, le seigneur espagnol voulait s’assurer si celui qu’il allait prendre pour confident était digne de cette marque de confiance.

La physionomie loyale de Diaz, sur laquelle on ne pouvait lire aucune des passions cupides qui servaient de mobile à ses compagnons, le rassura.

L’Espagnol reprit tout aussitôt :

« Eh bien, c’est vers ces montagnes que nous marchons depuis Tubac. Je vous dirai pourquoi j’ai dirigé l’expédition vers ce but, comme le pilote conduit le navire à un point de l’Océan que lui seul connaît. Ce soir vous lirez dans ma pensée comme moi-même. Nous sommes faits pour nous entendre, vous dis-je. Ce dais de brouillards, que le soleil même ne dissipera pas demain en se levant, sert de voile à des trésors que Dieu y a entassés depuis le commencement du monde peut-être. Depuis des siècles les eaux des pluies les charrient dans la plaine ; la race blanche n’a jamais fait que les entrevoir, et la race indienne les a respectés ; demain ces trésors seront à nous. Voilà le but que je poursuis. Eh bien, Diaz, vous ne tombez pas à genoux pour remercier le ciel d’être un de ceux appelés à les recueillir ?