Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouveau le chef, en regardant fixement l’aventurier.

— C’est le fond de ma pensée, quoique, à vrai dire, Cuchillo soit de ces gens qu’on accuse rarement à tort d’une perfidie. Mais encore je ne devine pas dans quel but il nous aurait trahis. »

Don Estévan souleva la portière de sa tente et, montrant du doigt à Pedro Diaz le voile de brume qui cachait le sommet des montagnes à l’horizon :

« Le voisinage de ces montagnes, dit-il d’un air pensif, pourrait nous expliquer l’absence de Cuchillo. » Puis, changeant brusquement de ton : « Et l’esprit de nos hommes est-il toujours le même ?

— Toujours, seigneur, répliqua Diaz ; plus que jamais ils ont confiance dans le chef qui veille pour eux quand ils dorment, et qui combat néanmoins comme le dernier d’entre eux.

— Je me suis un peu battu sur tous les points du globe, dit Arechiza, sensible à un éloge dont il ne suspetait pas la sincérité, et j’ai rarement commandé à des hommes plus déterminés que ceux-là. Plût à Dieu qu’ils fussent cinq cents au lieu de soixante, car, au retour de l’expédition, mes projets seraient faciles à accomplir.

— J’ignore quels sont ces projets dont Voire Seigneurie me parle pour la première fois, reprit Diaz d’un ton de réserve, mais peut-être le seigneur Arechiza ne me croit-il ambitieux que parce qu’il m’a fait l’honneur de me juger d’après lui.

— C’est possible, ami Diaz, reprit en souriant le duc de l’Armada. La première fois que je vous ai vu, j’ai pensé que la trempe de votre esprit sympathiserait avec la mienne. Nous sommes faits pour nous entendre, j’en ai la conviction. »

Le Mexicain avait toute la vivacité d’intelligence de ses compatriotes. Il avait jugé Arechiza, mais il attendait que celui-ci prit l’initiative ; il s’inclina courtoisement et se tut.