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aussi déterminés que ces aventuriers. Je n’étais à cette époque qu’un obscur cadet de famille, et ce sont eux qui m’ont aidé à reconquérir mon héritage… oui… c’était bien le mien. Mais j’étais alors à la fleur de l’âge, j’avais un but d’avenir à poursuivre, je l’ai atteint… je l’ai dépassé même, et cependant, aujourd’hui que je n’ai plus rien à désirer, je me trouve encore, à la maturité de l’âge, à parcourir des déserts comme je parcourais jadis les mers en y promenant mon pavillon ! Pourquoi ?… »

La conscience de Mediana lui cria que c’était pour oublier un jour de sa vie ; mais en ce moment il voulut rester sourd à sa voix.

La lune brillait sur les carabines rangées en faisceaux dans le camp, elle éclairait soixante hommes aguerris aux périls, sobres, infatigables, qui se riaient de la soif et du soleil. Dans le lointain, une vapeur lumineuse comme de l’or pâle se jouait dans le brouillard des montagnes, auprès desquelles s’étendait le val d’Or.

« Pourquoi ? répéta don Antonio ; et il répondit lui-même à sa propre interrogation : parce qu’il me reste encore un immense trésor et un vaste royaume à conquérir. »

Les yeux de Mediana étincelèrent d’orgueil, puis cet éclair s’éteignit bientôt, et il fixa sur l’horizon un regard de mélancolie.

« Et cependant, continua-t-il, de ce trésor, que garderai-je pour moi ? Bien. Cette couronne, je la mettrai sur la tête d’un autre. Et je n’aurai même pas pour récompense un fils, un descendant porteur du nom de Mediana, qui s’incline un jour devant mon portrait et dise en le regardant : Celui-là n’a pu être tenté ni par un trésor ni par un trône… On ne le dira que de mon vivant… Après tout, n’est-ce pas encore un assez beau lot ? »

Pedro Diaz, mandé, comme on l’a vu, par don Estévan, soulevait la portière de la lente au moment où celui-ci venait de la laisser tomber. Le chef avait repris son maintien ferme et décidé.