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— Pourvu qu’ils n’aillent pas se mettre à frissonner, dit Baraja.

— Qu’y faire ? reprit le vieux pâtre. Quant à moi, si vous le trouvez bon, je vais m’étendre sur mon manteau pour dormir. »

Et joignant le geste aux paroles, Benito s’enveloppa de sa couverture de laine comme il s’enveloppait de son fatalisme, et s’étendit par terre, la tête appuyée sur un des bâts entassés au pied des retranchements.

Mais Baraja était loin d’avoir la même doctrine que l’ancien pâtre. Son imagination lui retraçait mille fantômes effrayants qui surgissaient dans l’obscurité toujours si imposante du désert. Il lui semblait entendre à chaque instant les hurlements des Indiens troubler le silence profond qui cachait des périls dont le moindre était suffisant pour faire dresser les cheveux. La nuit surtout, l’homme le plus brave a de ces moments de faiblesse, et, sans avoir précisément un courage à toute épreuve, l’hacendero ruiné était loin d’être lâche.

Il essaya, mais en vain, d’imiter la résignation de son compagnon et de s’endormir aussi ; mais il était trop novice dans cette carrière de dangers et d’aventures pour avoir l’insouciance philosophique de Benito. Loin de croire, comme lui, qu’il n’y avait qu’à courber la tête devant un danger inévitable, l’ex-hacendero était d’avis que le meilleur moyen de l’éviter était de le fuir. Toutefois, dans ces solitudes que la clarté de la lune faisait resplendir comme un lac, où la mort pouvait être partout, il eût été aussi dangereux de fuir du camp que d’abandonner un navire en détresse pour demander son salut au terrible Océan, que parcourt le requin affamé.

Après une longue journée de marche, tous les aventuriers dormaient étendus sur le sable ; les sentinelles seules veillaient et faisaient crier le gravier sous leurs pas. Le silence, que nul autre bruit ne troublait, finit