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Cuchillo, notre guide, avait besoin d’un indice qui l’aidât à se retrouver. L’humanité d’un côté et notre intérêt personnel de l’autre exigeaient que le chef prît celle précaution, toute dangereuse qu’elle est.

— L’humanité, je ne dis pas ; mais notre intérêt personnel ! Qu’advient-il au voyageur qui suit, la nuit, les feux follets dans les marais ? de tomber dans une fange mouvante qui l’engloutit. Eh bien, entre nous, Cuchillo, d’après sa physionomie, me semble être un de ces guides sur les pas desquels les mines d’or n’aboutissent qu’à des fondrières.

— N’avez-vous pas entendu les bruits qui se sont propagés parmi les hommes de notre expédition ?

— Quoi ? Que cette expédition n’a pas été entreprise au hasard comme celles qui l’ont précédée, et que don Estévan connaît dans ces déserts l’existence d’un immense placer ?

— Sans doute il en connaît l’existence, car je parierais que ces bruits sont fondés, mais il n’en connaît pas l’emplacement, et j’ai de bonnes raisons pour croire que Cuchillo en sait à cet égard plus long qu’il n’en veut dire, et que sa mort serait pour nous une perte irréparable.

— J’en doute, reprit le vieux domestique en secouant la tête ; la figure de Cuchillo est de celles qui ne trompent pas un œil exercé. Je désire me tromper, du reste.

— Bah ! vous voyez tout en noir.

— Il est de fait que je dois vous paraître comme ces oiseaux de mauvais augure qui n’annoncent que de sinistres nouvelles. Personne moins que moi ne redoute le danger, et cependant il me semble que Dieu m’a donné un sens plus exercé pour le pressentir ; ce soir même, je ne sais quelle voix intérieure m’avertit de prendre garde à moi ; et pourquoi, à tout prendre ? Qui peut empêcher ce qui doit arriver ? Ah ! voilà ces animaux qui cessent encore de manger pour écouter !