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ses traces, l’un ou l’autre, ou bien tous deux, reprit Benito, et plaise à Dieu qu’ils aient eu la force de ne pas révéler notre présence en ces lieux.

— Le craignez-vous ? dit Baraja.

— Ces Indiens sont curieux en diable, et ils ont, pour vous arracher vos secrets, des procédés en comparaison desquels ceux de la sainte Inquisition n’étaient que jeux d’enfants ; et quoique, grâce à l’adresse de Pedro Diaz, ils aient perdu notre piste, une indiscrétion de l’un des captifs peut les amener à notre camp.

— C’est effrayant ce que vous me dites, murmura Baraja.

— Mais instructif, je vous le répète. Vous vous rappelez la nuit des jaguars ?

— Plût à Dieu que j’y fusse encore ! au moins nous n’avions affaire qu’à deux tigres ; et ici à combien de démons rouges ? on n’ose le calculer.

— Une centaine à peine, reprit flegmatiquement l’ancien pâtre ; il est rare qu’ils marchent en plus grand nombre. Eh bien, pour en revenir à la nuit de la Poza, l’effroi de nos chevaux vous effrayait vous-même ; mais il vous instruisait du danger. Sauf la peur que je n’ai pas, je joue à votre égard le rôle des chevaux dont l’instinct… »

Le vieux vaquero s’interrompit pour tourner la tête de droite et de gauche.

« Dont l’instinct ne les trompe jamais, reprit-il. Eh ! tenez, voilà les mules qui cessent de broyer leur maïs et qui semblent écouter. »

Baraja tressaillit visiblement.

« Voici le noble cheval de bataille de Pedro Diaz qui allonge le cou comme s’il flairait le danger dont son maître et lui semblent si avides.

— Eh bien, qu’est-ce que cela prouve ?

— Rien encore ; mais si ces animaux, au lieu de cesser de manger, ou celui-ci d’ouvrir les naseaux et de tendre le cou, frissonent et ronflent sourdement, cela voudra