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— C’est effrayant, mais instructif, et comme vous pouvez d’un moment à l’autre tomber entre les mains des Indiens, il est bon de savoir ce qui peut vous attendre en pareil cas ; c’est toujours une consolation à défaut d’une meilleure.

— Finissez-en donc ! dit Baraja en gémissant. Je vois qu’à tout prendre, le métier de chercheur d’or est un abominable métier.

— À tort ou à raison, j’ai toujours pensé, continua le narrateur, qu’il n’arrive jamais que ce qui doit arriver, et que, par conséquent, on ne doit s’effrayer de rien. Aussi, quand je tombai aux mains des Indiens, je me dis qu’ils avaient beau faire, que si je ne devais pas mourir je ne mourrais pas. Or, les Indiens, ce jour-là, étaient d’humeur massacrante, car nous leur avions tué pas mal de guerriers dans une escarmouche. Ils délibérèrent d’abord, ce que je compris à leurs gestes, pour décider si je serais scalpé, écorché vif ou coupé en morceaux. Enfin, un chef, dont l’irritation était extrême, persuada ses guerriers de m’attacher au poteau, pour leur servir de but au tir de la carabine.

« Ils avaient une longue journée à perdre, et je devais, pendant ce temps, faire les frais de leur amusement. J’avais compris quelques mots de leur discours, et je me dis que puisque, contre l’habitude, je ne devais être ni scalpé ni rôti vif, je pourrais bien échapper à toute autre chose. En effet, depuis le lever du soleil jusqu’au coucher, je servis de but à leurs carabines. Chacun des guerriers s’avançait à son tour, me visait à la tête et faisait feu. J’essuyai ainsi deux cent quatre-vingt-quatre coups de carabine, ni plus ni moins : je comptais pour me distraire, car le temps me semblait fort long.

— Je le crois, s’écria Baraja d’un ton de conviction. Mais, seigneur don Benito, vous nous la donnez belle avec vos deux cent quatre-vingt-quatre coups de carabine.