Parmi les divers groupes d’hommes couchés çà et là, nous retrouvons Benito, le domestique de don Estévan, Baraja et Pedro Diaz. Tous trois s’entretenaient à voix basse.
« Seigneur don Benito, demandait Baraja au vieux domestique, vous qui êtes si habile à expliquer tous les bruits du désert ou des bois, pourriez-vous nous dire ce que signifient les coups de fusil que nous avons entendus toute cette après-midi ?
— Je connais peu les Indiens ; cependant…
— Voyons, dit Baraja, pas de réticences effrayantes comme vous saviez si bien les faire lors de cette fameuse nuit des tigres.
— Cependant, reprit le domestique, j’ai été fait prisonnier par eux dans ma jeunesse, et, à moins qu’ils ne fassent subir à quelque malheureux captif le supplice qu’ils m’ont infligé, je ne devine point quelle peut être la cause de la fusillade que nous avons entendue.
— Croyez-vous donc qu’ils aient pu faire quelque prise dans ces déserts ?
— Pourquoi pas ? répondit le vieux pâtre à cette nouvelle interrogation de Baraja. Depuis deux jours notre ami Cuchillo n’est pas revenu, et je crains bien que ce ne soit à ses dépens que ces démons prennent leurs ébats. Si c’est le même traitement que j’ai subi, Dieu veuille avoir son âme !
— Mais de quel traitement parlez-vous ? Ce supplice ne doit pas être si horrible, puisque vous y avez échappé.
— Vous croyez ? Eh ! je vous déclare que d’avoir la peau du crâne enlevée, d’avoir le corps déchiré en morceaux, d’être brûlé à petit feu, que tous les tourments en un mot qu’ils inventent ne sont rien en comparaison.
— Demonio, reprit Baraja, ce n’est, je pense, que lorsqu’ils sont exaspérés que les Indiens s’amusent à vous torturer ainsi ?